dimanche 19 février 2017

En débattant... Fabrice Hadjadj, Il n’y a pas de moralisme chrétien


Don Paul Préaux a cité cette finale du Sermon sur la montagne : « Vous donc, vous serez parfaits comme votre Père céleste est parfait ». À l’évidence cette promesse est impossible à vue humaine. Donc, que vient révéler le christianisme ? Non pas des préceptes qu’on appliquerait avec cette dignité un peu romaine ou pharisienne qu’on observe chez certains : « Nous sommes des justes, nous ; nous ne sommes pas tombés, nous avons respecté les préceptes », etc. Hélas ! Un certain catholicisme a ainsi transformé le christianisme et même fait une lecture biaisée de l’Évangile ! On occulte les drames, les épreuves, les échecs, on saute les pages de l’Ancien Testament faisant état de viols, d’incestes, d’infanticides, etc. Et on nous extrait des Écritures des petites vignettes morales pour nous dire : « Voilà qui va vous protéger, voilà qui va faire de vous de bons pratiquants ». C’est terrible !
Il y a une dramatique dans l’Évangile. La Révélation chrétienne est d’abord une dramatique avant d’être une morale. Je veux dire ainsi qu’il y a d’abord la Révélation que nous avons foiré ! Dès l’origine nous avons tout foiré ! Nous sommes tombés dans l’immoralité jusqu’aux yeux ! Nous commençons pécheurs et nous avons besoin d’être sauvés. Être sauvé, ça ne concerne pas d’abord le domaine de la morale mais celui de la miséricorde. Et cette miséricorde, comme le rappelle l’épître de saint Jacques, se moque de la morale, « se moque du jugement ». Premièrement, donc, il n’y a pas de moralisme chrétien, mais il existe une certaine moralité chrétienne.
Ce terme de morale est très beau : il renvoie aux mœurs. Or, je dirais que dans le christianisme l’impératif découle de l’indicatif : le tu dois n’écrase pas l’être donné, les dix paroles du Décalogue ne viennent pas contrarier, mais déployer les dix paroles de la Création en sept jours. II s’agit donc d’abord d’une hospitalité envers l’être tel qu’il se donne. C’est ce que fait le Christ envers la femme pécheresse, ou ce que fait saint Paul lorsqu’il dit aux gens de Lystres qui veulent en faire un dieu : « Nous sommes des hommes, des pécheurs, comme vous ». La morale chrétienne consiste à dire : « Voilà quelle est notre situation, tu es pris dans un drame, moi aussi, regarde, on ne peut pas se sauver nous-mêmes, on est tous pécheurs, et l’on doit s’aider l’un l’autre pour accueillir la grâce ».
Il y a une solidarité des pécheurs entre eux. Dès qu’on s’abaisse jusqu’à reconnaître sa solidarité avec le pécheur, on prend de la vraie hauteur. C’est partir de cet indicatif de notre situation de misère commune, mais aussi de ces dons extraordinaires en nous et dont on sait très bien qu’ils ne sont pas simplement le fruit de nos mérites et de nos labeurs mais liés à un héritage, que nous pouvons commencer à bien agir, humblement, modestement mais réellement.
Cela n’a rien à voir avec ces sortes de morales du devoir que l’on trouve chez Kant et ensuite dans une certaine manière de penser les valeurs républicaines. les valeurs s’opposent à la vie et viennent la phagocyter, ce qui n’est pas du tout chrétien.
Le Christ est la Vérité mais il est aussi le Chemin. Le chemin induit un mouvement, une dramatique, une certaine instabilité. Et puis, pour finir, il est la Vie. C’est là, ultimement, son nom. Dès qu’on s’éloigne de la Vie, au nom d’un système de pensée, d’une série de préceptes tellement figés qu’ils écrasent la personne au lieu de la sauver, ce n’est plus le Christ.

Fabrice Hadjadj, in Chrétiens français ou Français chrétiens