mardi 10 septembre 2013

En goûtant... Henri de Lubac, De la preuve de Dieu

« Pour beaucoup, Dieu est objet d'opinion ; ou, si l'on consent à parler à son sujet de certitude, il ne s'agit, précise-t-on comme par manière d'excuse, que d'une certitude de sentiment, étroitement personnelle. — Pour nous, il est objet de preuve. Sur ce point, du reste, l'Église catholique s'est plus d'une fois prononcée, aidant la raison de ceux qui lui font confiance à reprendre confiance en soi, la stimulant contre le péril de « démission métaphysique » qui la guette en notre âge. Le mouvement qui nous porte jusqu'à Dieu au delà de la création « visible et invisible » en prenant appui sur elle, n'est pas seulement un élan du cœur, doublé tout au plus d'une opinion intellectuelle. Si personnel qu'il puisse être, — qu'il doive être — en chacun de nous, il a valeur universelle. Une de-monstratio peut en dessiner l'itinéraire, en analyser le mécanisme essentiel, en déterminer le ressort, y distinguer des étapes, valables pour tout esprit.
Seulement, comme il y a diverses sortes d'objets, il y a diverses sortes de preuves. Chaque fois qu'une preuve ne se borne point à développer le contenu enclos dans un concept, chaque fois qu'elle marque un progrès réel en atteignant un objet radicalement nouveau, le dynamisme de l'intelligence qui élabore cette preuve implique une finalité. L'esprit se trouve alors « commensuré » à l'objet en question. D'avance il est spécifié par lui. Le lien de l'un à l'autre n'a rien d'accidentel. C'est dire qu'un tel objet, précisément en raison de la nouveauté qu'il apportera, se trouve déjà présent à l'esprit d'une mystérieuse présence, comme d'une présence en germe. Le saisir au terme du processus logique, le capter pour ainsi dire dans un réseau de formes objectives, ce sera donc, en un sens, le « reconnaître ». Démontrer, en ce cas, c'est se rendre compte. On découvre ce qui était.
Combien plus cela est-il vrai dans le cas de la preuve de Dieu ! Le finalisme essentiel à l'intelligence qui pénètre en un nouveau domaine est alors doublement unique. Dans tous les autres cas, en effet, nous visons encore un objet de notre monde, du monde de notre expérience, même s'il se trouve être encore au delà des prises actuelles de notre expérience. Au contraire, lorsqu'il s'agit de Dieu, à propos de qui les mots mêmes d'objet et d'existence prennent une signification transcendante, il s'agit de cet Être qui est la source de mon être, « plus moi-même que moi ». Combien plus haut que tous les autres, et combien plus intime ! Ainsi, dans ce cas, la présence qui rend compte du dynamisme de la preuve est-elle une présence autrement stimulante et autrement profonde : point sacré, marque de Dieu sur moi, cela même qui me fait esprit 1. Et du même coup, cela même qui me fait personne et responsable. C'est pourquoi la plus forte des preuves dépend plus que toute autre, — non sans doute dans son schème abstrait, mais dans sa force de persuasion concrète, — de la bonne volonté. Car c'est toujours plus que le fonctionnement impersonnel d'une intelligence qui se trouve en jeu. La pureté du regard se confond ici avec sa loyauté.
D'autre part, il n'y a pas réelle hétérogénéité entre l'élan spontané de l'âme qui s'élève à l'existence de Dieu et les analyses rationnelles du philosophe. En présence du premier, on parle souvent d'instinct, de cœur, de sentiment, d'intuition : termes équivoques qui veulent traduire le dynamisme de l'intelligence, sa source profonde, l'unité de son mouvement, et en même temps évoquer les richesses concrètes et le frémissement sensible à travers lesquels la lumière de l'esprit trace sa voie. Le philosophe, lui, fait œuvre critique : il cherche à purifier, à contrôler, parfois à rectifier, à compléter ; mais surtout il analyse, il décompose en étapes logiques, sévèrement vérifiées, le mouvement sans brisure. Rarement, il essaie de porter son étude non plus seulement sur l'itinéraire, mais au cœur même du dynamisme, à ce point central et secret d'où sourdent raison et volonté. Il sent trop, sans doute, qu'ici l'instrument logique ne suffit plus à l'analyse ; qu'il faudrait en outre suggérer, interroger, aider à prendre conscience ; qu'il faudrait révéler, en craignant sans cesse de le troubler, un contenu latent. Tâche délicate, pour laquelle il se sent mal fait. — Et puis, s'il s'agit de lui-même, et non plus d'une question, pour ainsi dire, professionnelle, mais de son problème à lui, homme vivant, peut-être aussi craint-il obscurément de rencontrer non plus seulement un sujet d'analyse, mais, en vérité, Dieu même ; et non pas seulement de découvrir l'auteur de la nature, de toute nature, — mais de se heurter, lui vivant, à l'action du Dieu Vivant, irréductiblement singulière et incessamment urgente en tout homme. Non enim fecit Deus et abiit... » (Victor Fontoynont, S. J.)
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En fait de preuve de Dieu, l'exposé le plus classique et le plus simple est aussi toujours, en soi, le meilleur 2. Il constitue pour ainsi dire le schème permanent qui subsiste à travers toutes les précisions techniques de surface qu'y introduit chaque école, chaque âge, chaque penseur. II nourrit encore l'élan de ceux qui s'imaginent s'en passer, — car « la preuve nécessaire à tout homme pour acquérir une pleine certitude est si facile et si claire, qu'on s'aperçoit à peine du procédé logique qu'elle implique »3. C'est là, comme dit Fénelon, « une philosophie sensible et populaire, dont tout homme sans passion et sans préjugés est capable »4. En droit, et tout aussi bien, pour l'esprit simple et droit, en fait, « le moindre coup d'œil suffit pour apercevoir la main qui fait tout »5. Mouvement, contingence, exemplarité, causalité, finalité, devoir-être : catégories éternelles, points de départ toujours offerts, aussi présents toujours, aussi résistants à la critique, aussi actuels que l'homme lui-même et que sa pensée 6. Ecce caelum et terra : clamant quod facta sint 7. Plus simplement encore : Aliquid est, ergo Deus est. « Toute l'École est d'accord qu'il n'en faut pas davantage »8.
Sans doute la preuve spontanée qui surgit de la sorte a-t-elle besoin, pour s'imposer dans toute sa force à la pensée réfléchie, d'être indéfiniment commentée, et ce commentaire justificatif, qui ne va pas sans une partie critique, est lui-même, par la force des choses, toujours changeant pour une part. Forme savante de la preuve, « destiné surtout à répondre aux objections ou à les prévenir »9, il ne se conçoit pas sans un effort toujours à renouveler d'adaptation. Mais une telle nécessité ne semblerait étrange qu'à celui qui n'aurait jamais songé à ce qu'offre d'unique en tout le cas de Dieu. « L'opération sublime et simple »10 qui mène à Lui demeure, en son fond, toujours la même. Le changement partiel des techniques, des perspectives et des présentations ne l'atteint pas 11. Comme Dieu lui-même, en son éternité, domine le flux incessant de la création, ainsi l'idée de Dieu en nous domine les fluctuations de la vie intellectuelle, s'imposant toujours, à travers ces fluctuations mêmes, avec la même force invincible. Et tous les grands esprits qui ont parlé de Dieu demeurent toujours nos contemporains.
La causalité dont Kant a voulu montrer que l'usage transcendant n'était pas légitime, n'était que la catégorie étroitement scientifique, la catégorie spécialisée régissant l'univers de Newton. Taillée pour ordonner les phénomènes, elle y épuise sa vertu. Cette causalité kantienne, au reste, n'est qu'un exemple. En effet, les philosophies occidentales modernes « ont ceci de particulier que le monde dont elles partent » n'est le plus souvent que « celui que constituent et modifient sans cesse les sciences »12. Comment s'étonner qu'un tel monde soit impuissant à fonder par lui-même et à soutenir jusqu'au bout l'élan de la pensée ? Il faudrait creuser davantage, pour retrouver, sous les catégories artificielles et méthodologiques de la science, les grandes catégories naturelles de la raison. Alors la discussion pourrait s'ouvrir entre une critique négative les déclarant illusoires et un effort de justification réflexive en même temps que de purification de leur usage spontané 13.
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Sous les variations apparentes, le schème de la preuve demeure toujours identique 14. Il est bon, il est éternel. Plus solide que l'acier le plus fort. Il est plus qu'une invention de la raison : il est la raison elle-même.
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On aura beau faire aux diverses preuves de l'existence de Dieu toutes les objections possibles, jamais la critique ne les détruira, parce que jamais elle ne mordra sur le principe qu'elles ont toutes en commun. Au contraire, ce principe se dégagera d'autant plus impérieux, qu'auront été plus secoués tous les éléments avec lesquels sont agencées les preuves. C'est qu'il n'est pas un principe particulier, que l'esprit pourrait isoler et passer à son crible pour en fixer les limites, ou même pour le rejeter tout entier hors de lui : il touche à sa substance même. Il n'est pas un chemin que l'esprit pourrait se décourager de suivre jusqu'au bout, ou dont il pourrait se détourner, craignant de s'être mal engagé : il se confond avec lui. L'esprit lui-même est un chemin qui marche 15.
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Causa essendi, ratio intelligendi, ordo vivendi. Il faut à toute pensée, comme à tout être et comme à tout acte, un principe et un terme 16. L'esprit ne s'est pas mis tout seul en branle, et son mouvement suppose une direction, c'est-à-dire un point fixe. La gratuité pure est un autre nom de l'absurde. On ne peut faire l'économie de Dieu.
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Si, comme beaucoup l'ont cru, l'homme en adorant Dieu adorait l'humanité elle-même, il l'adorerait comme nature, ou comme idéal ; c'est-à-dire comme réalisée, ou comme réalisable. Dans l'un et dans l'autre cas, l'objet qu'il poserait ne serait pas plus digne d'adoration que le Dieu transcendant tel qu'on l'a d'abord imaginé, puis critiqué.
Que si l'on concevait cette divinité comme un pur idéal, à jamais irréalisable, se faisant sans jamais devoir être, à quel titre l'appellerait-on encore humanité ? Et qu'y aurait-il encore d'intelligible — ou d'adorable — en un terme aussi fuyant ?
Trois essais pour échapper au Dieu Vivant, trois fuites dans la mystification.
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Dieu n'est pas le premier anneau d'une chaîne. Dans la série de causes et d'effets qui compose ce monde, Dieu n'est pas le premier de la série 17. Dieu n'est pas un point d'origine dans le passé : il est une raison suffisante dans le présent (comme aussi bien dans le passé et l'avenir, — dans toute l'extension de la durée). Que d'objections tomberaient, que de malentendus s'évanouiraient, si cette vérité si simple était comprise !
Nec Tu tempore tempora praecedis : alioquin non omnia tempora praecederes.18
Dieu n'est pas seulement au principe et au terme : Bien de tout bien, Vie des vivants, Être des êtres 19, Il est au cœur de toute chose. In illo vivimus, et movemur, et sumus 20. Sans cette Présence de l'Absolu au sein du relatif, de l'Éternel au sein du mouvant, tout retomberait en poussière.
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Le Devenir, à lui seul, n'a point de sens. II s'écoule, il s'évanouit, sans réellement devenir : c'est encore un autre nom de l'absurde. Or, sans une Transcendance, c'est-à-dire sans un Absolu présent, installé déjà au cœur de la réalité qui devient, ne dépendant pas d'elle, mais la travaillant, l'attirant, la polarisant, la faisant vraiment avancer, il ne peut y avoir indéfiniment que du devenir, — à moins qu'une catastrophe ne vienne mettre une fin brutale à tout, et que l'absurde ne retrouve enfin, si l'on peut dire, la vérité de son être en devenant sans équivoque le néant...
Tout devenir est causé par l'Être. Tout devenir est orienté vers l'Être. Le devenir ne peut être pensé que par l'Être.
L'idée du Progrès, qui magnifie le Devenir et en quelque sorte l'hypostasie, est l'une des plus creuses que les hommes aient forgées. Car le Progrès divinisé n'est pas seulement, comme on l'a justement écrit 21, une « course sans gouvernail » ; c'est une course sans but. Bien plus, c'est une course qui s'égare sans même réellement courir. Supprimer le terme, c'est supprimer la direction de la course. C'est faire « miroiter aux yeux de l'individu déchiré et asservi un au-delà abstrait qui le fuit à mesure qu'il croit s'en approcher »22. C'est supprimer le progrès. « Faire disparaître l'absolue perfection, c'est faire disparaître toute idée de perfectionnement ». Pas de dépassement réel sans axe ni sans terme ; pas de progression réelle sans « passage à la limite ». S'il y a devenir, s'il y a progrès possible, il doit y avoir un jour achèvement (disons, tout au moins, achèvement possible) ; et s'il doit ou s'il peut y avoir achèvement, il y a, dès toujours, autre chose que du devenir 23.
« Retirez la fin du monde (qui en est aussi le commencement), et il n'y a plus de suite dans les choses, mais seulement ce chaos qui vous désespère et auquel le vieux Tathagata préférait le néant »24.
Contre l'absurdité du Chaos primordial, du rien d'où le tout surgirait, du néant qui engendrerait l'être, de la Force aveugle qui ferait jaillir les clartés de l'Esprit : une Source de l'Etre, un « Point Alpha ».
Contre le désespoir du Chaos final, de l'échec absolu, de l'Esprit vaincu sans appel par la Matière obscure, de la mort incessante, du morne retour cyclique où s'effondrent sans fin tous les rêves : un Lieu où l'être se recueille, un « Point Oméga ».
« Je suis l'Alpha et l'Oméga », dit le Seigneur 25.
L'intelligence, nous disent les anciens philosophes, « est en quelque façon toutes choses ». Elle en a spontanément conscience, en effet, et chaque fois qu'il lui arrive, à travers les systèmes, d'expliciter son rêve, quelle que soit l'étrange diversité des formules où ce rêve prend corps, il s'agit toujours pour elle de comprendre en soi toutes choses. Vult auteur anima totum mundum describi in se 26.
En d'autres termes, ne pouvant renoncer à l'Absolu pour lequel elle est faite, mais ne sachant pas encore où situer cet Absolu ni comment le comprendre, par un mouvement naturel elle le cherche d'abord en face d'elle, dans la Nature, dans l'objet. — Mais le chercher ainsi, n'est-ce pas se condamner à ne jamais l'atteindre ? Le monde objectif est indéfini. C'est un océan sans rivage, où l'esprit a vite fait de se perdre. S'y embarquer, dans l'espoir de jeter l'ancre un jour aux terres situées « au delà des choses physiques », n'est-ce pas quitter le monde réel pour un royaume indéfini d'abstractions ? La vraie métaphysique, elle, est par excellence la science du réel et du concret 27.
On croit donc tout d'abord aux données sensibles : n'ont-elles pas le privilège de l'immédiat ? Leur présence ne s'impose-t-elle pas toujours et ne survit-elle pas à toutes les théories ? Ne faut-il pas toujours y revenir ? — Mais bien vite on s'aperçoit qu'elle ne sont qu'apparence, ou tout au plus l'écorce de la réalité. On se fie alors aux entités forgées par la science : à tout ce sensible amorphe et fluent, ne donnent-elles pas une armature ? Ne lui imposent-elles pas un ordre et une loi ? — Mais il faut encore déchanter. À l'analyse, ces entités qu'on prenait pour des absolus apparaissent contradictoires, ou se résolvent en d'autres : tels le mouvement, ou l'atome des anciens... 28. L'univers scientifique ne tient pas plus que l'univers sensible, s'il ne s'adosse à quelque univers d'une autre nature. Plus la science, perfectionnant ses méthodes, assujettit le monde à l'homme, plus, en revanche, l'être, qui ne se laisse pas assujettir, se dérobe... Et devant ce nouvel échec, apparemment définitif, vient alors naturellement la tentation de l'agnosticisme. — Mais lui-même à son tour va se révéler contradictoire, — lui qu'on avait inventé comme une solution désespérée pour sauver au moins la logique. Impossible de s'y tenir. Comment, en effet, continuerait-on d'affirmer un Absolu que l'on déclare absolument inconnaissable ? Dès lors un franc scepticisme paraît ne plus pouvoir être évité. — Mais l'intelligence ne peut absolument pas abdiquer ; elle ne peut renoncer à sa loi formelle, qui est de juger, c'est-à-dire toujours d'affirmer. Le scepticisme l'opprime et l'attaque à sa racine, en portant la contradiction non plus seulement entre les contenus divers de ses diverses affirmations, mais en elle-même, au cœur de chacun de ses actes. En vue de s'en dégager, elle peut en venir alors à concevoir, au sens le plus général du mot, comme une sorte d'Absolu de remplacement, la Loi. C'est poser un intermédiaire entre l'esprit et le réel, comme entre l'immanent et le transcendant, « terra media où se concentrent nos actions et au delà de laquelle le besoin de connaître se perd dans la métaphysique, c'est-à-dire dans la discussion chimérique et oiseuse touchant des questions inutiles pour la pratique de la vie ». — Mais une fois de plus, ce modeste refuge est lui-même instable. Il faut bien encore le reconnaître : comme l'absolu des choses était contradictoire, cet absolu de la Loi est en l'air. Axiome éternel, ou de quelque nom qu'on l'appelle, s'il n'est pas le déguisement d'autre chose, il n'est que le vide, — un vide abstrait, sans profondeur et sans mystère.
N'a-t-on pas abouti définitivement à une impasse ?
Tout le mal vient de l'illusion initiale. Il vient de cette persuasion, non critiquée, qu'il n'y a qu'à progresser dans la connaissance du monde à partir de ses premières données, sans retournement réflexif ; que le regard de l'esprit doit prolonger en quelque sorte indéfiniment le regard du sens, même lorsqu'il paraît, avec la science, le passer au crible, pour découvrir l'être sous son apparence ; qu'il faut amasser l'objet, confondu avec l'être, comme un trésor, le creuser pour y trouver sa pâture, le garder pour s'en enchanter. Bref, de l'illusion qu'il n'y a jamais qu'à s'installer mieux, qu'à s'enfoncer plus à fond dans ce monde...
Illusion naturelle à l'esprit, comme elle est naturelle à l'homme. Illusion peut-être nécessaire, en tout cas utile pour soutenir un effort de recherche qui est une part de la vocation humaine. Illusion, cependant, que l'homme qui réfléchit trouve en lui de quoi détruire. Il la détruira d'une double manière, en constatant que la connaissance parfaite, adéquate de ce monde lui est doublement impossible. Qu'on le nomme en effet, selon qu'on cède à une tendance plutôt rationaliste ou plutôt psychologique, savoir ou intuition, qu'on le conçoive comme une mystérieuse coulée au cœur du réel dans l'évanouissement de toutes ses formes, ou au contraire comme le terme vivant d'un immense effort de synthèse rationnelle, comme une immédiation ou une construction, l'idéal qui semblait actionner la connaissance humaine est un mirage.
Le Savoir absolu et l'Intuition du monde répugnent également.
Le Savoir absolu répugne, parce qu'il ferait évanouir, au moment où il se réalise, celui qui doit le porter en soi. Il ne pourrait être le Savoir d'un Sachant. Toutes les contradictions seraient surmontées, toutes les oppositions dépassées. Toutes les lois s'emboîteraient les unes dans les autres, pour en arriver à tenir finalement dan une seule formule. Mais par là même, tout point de vue particulier ayant disparu, l'individuel étant désormais dissous dans l'universel, la multiplicité ayant tout entière rejoint l'unité, cette formule générale ne trouverait plus ni symbole où s'exprimer, ni conscience où s'affirmer. Allant au bout de son Savoir, le Sachant serait « comme la sorcière qui finissait par se dévorer les entrailles ». « Il ne resterait que l'impensable égalité de rien à rien »29.
L'Intuition du monde ne répugne pas moins, parce qu'elle ferait évanouir le monde qu'elle veut étreindre. Il y a en effet, dans ce monde, de l'infra-intellectuel : pleinement absorbé par l'intelligence, épuisé par elle, il cesserait donc d'être lui-même. La raison dernière en est d'ailleurs encore à chercher du côté du sujet : car, si le monde est essentiellement sensible, c'est qu'il est essentiellement indéfini ; et s'il est indéfini, donc intotalisable et inépuisable, n'est-ce pas qu'il est le corrélatif obligé d'esprits eux-mêmes en devenir ?
En deux mots : le monde n'est ni une Loi, ni une Essence. Les antinomies qu'il ne cesse d'offrir, amorçant et entretenant le mouvement de l'esprit, ne seront jamais toutes réduites. Réelles à leur plan, les lois et les essences que l'intelligence ne cesse d'y découvrir laissent subsister une obscurité qui ne peut être dissipée. La science ne s'élèvera jamais jusqu'à la synthèse totale qui l'identifierait à la métaphysique, et l'objet dernier, le véritable objet de la métaphysique n'est pas de ce monde. L'entendement restera toujours l'entendement, c'est-à-dire une intelligence imparfaite, mêlée de sensible, — mais il n'est lui-même qu'un substitut provisoire et un auxiliaire de l'esprit.
L'entendement, faculté de la science, regardait au dehors : l'esprit doit se tourner au dedans. Reprise critique de la pensée 30, conversion nécessaire, introversion, réflexion, par où la métaphysique découvre enfin son domaine. « Non », protestait Malebranche, « je ne vous conduirai point dans une terre étrangère ; mais je vous apprendrai peut-être que vous êtes étranger vous-même dans votre propre pays ».
L'entendement est en puissance à une infinité d'objets : n'est-ce pas le signe que l'esprit est en tendance à l'infini lui-même ? Sans pouvoir les totaliser 31, nous pouvons indéfiniment nous représenter toutes choses : n'est-ce pas que nous voulons, autant qu'il est en nous, posséder Dieu ? Acosmisme, si l'on veut ; mais acosmisme qui en réalité sauve le monde. Sans lui, le monde ne peut être qu'une déception systématique ; grâce à lui, au contraire, il retrouve sa valeur et sa consistance, son sens et sa justification. Il se révèle comme un moyen, une étape et une épreuve. Son essentielle indéfinitude n'a plus rien qui nous scandalise, et il peut enfin, dans sa forme présente, s'évanouir pour ainsi dire entre nos mains sans que sa disparition nous déconcerte : elle est une transfiguration, elle est l'annonce et l'approche d'un bien meilleur. Nous sommes panta pôs, a-t-on dit, parce que theos pôs ; on a parlé aussi en nous d'une faculté du divin : peut-être pourrait-on dire plus précisément, ou même plus exactement : l'intelligence est faculté de l'être parce que l'esprit est capacité de Dieu.
L'esprit humain pourrait se comparer à une plante. Le but de la plante, en assimilant les éléments qu'elle puise au dehors, c'est de vivre, de devenir elle-même. Le but de l'esprit, se faisant d'abord entendement pour assimiler le sensible, ce n'est pas de se perdre dans les éléments qui de toute part s'offrent à lui ; ni de construire avec eux l'édifice parfait du savoir : c'est de devenir lui-même, c'est de vivre. Et sa vie, c'est la possession de soi — et de toutes choses — dans la dépendance lumineuse de Dieu.
« Je suis avec les hommes, dit le voyageur, et non avec les anges, et je n'ai de désir que de ce qui respire à mon image.
— Ce n'est pas vrai, répond la voix, tu n'as de désir que de Dieu. Car la connaissance de Dieu est ta part, et, comme l'abeille, dans l'été, distille le miel, ainsi ta fonction est de contempler, avec des yeux d'amour, l'Impérissable »32.
Noli foras ire, in teipsum redi, in interiore homine habitat Veritas ; et si tuam naturam mutabilem inveneris, transcende teipsum. Sed memento, cum te transcendis, ratiocinantem animam te transcendere. Illuc ergo tende, unde ipsum lumen rationis accenditur...33.
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Solus Deus est, in quem nec pondus nec mensura cadit omnino, nec numerus. Unus Deus est, et non habet sui generis cui valeat comparari 34.
Tout ce qui touche à Dieu, tout ce qui mène à Dieu, tout ce qui unit à Dieu est unique 35. Entre Dieu et les autres êtres, toute communion de nom ou d'essence est exclue 36. Rien de Dieu ni de nos rapports avec Lui ne rentre « dans le genre »37. Ce principe ne peut souffrir d'exception. La voie pour aller à Dieu, si multiple et variée en ses formes secondes, est elle-même, en elle-même, unique 38 : άπαξ
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― Croyez-vous en Dieu, Polémon ?
― Certainement, répliqua le philosophe ; je crois en un seul principe éternel et existant par lui-même.
― Ce Dieu, dit alors Callista, moi, je le sens dans mon cœur ,et je me sens en sa présence ! Il me dit : « Fais ceci, ne fais point cela ! » Vous me direz peut-être que cette inspiration n'est qu'une simple loi de la nature, une impression analogue à celle de la joie ou de la douleur...
« Mais, non, moi je crois le contraire. C'est l'écho d'une voix réelle et véritable que j'entends, et cette voix procède d'un être indépendant de mon individualité ! Cette voix porte en elle-même la preuve de sa divine origine. Mon cœur s'y attache et l'aime comme si c'était une personne pleine d'amabilité. En lui obéissant, je suis toute joyeuse ; si je suis rebelle, je me sens triste. Il me semble que je contriste ou réjouis tour à tour un ami vénéré.
« Vous le voyez, Polémon, je crois à ce qui est bien plus qu'un simple quelque chose. L'objet de ma croyance est plus réel pour moi que le soleil, la lune, les étoiles, la terre si belle et les douces paroles d'un ami. Vous me demanderez : « Quel est-il, cet objet ? Vous a-t-il jamais révélé quelle est sa nature ? » Hélas ! non... Oh ! je le regrette amèrement... Mais si peu que ce soit, je ne peux pas me dépouiller de ce que je possède... Un écho suppose une voix ; une voix suppose un être qui parle, et cet être, cette voix secrète, je les aime et je les crains tout à la fois »39.
La pensée n'étreindra jamais l'être, mais dès ses premiers pas, elle le touche. Elle ne marcherait pas, si elle n'était déjà, en un sens, arrivée.
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Tout l'appareil des preuves est-il autre chose, au fond, qu'un vaste removens prohibens ? Trop nécessaire, au reste, dans la condition charnelle de l'esprit. Mais, essentiellement positive si on l'envisage à l'intérieur de la vie intellectuelle, sa signification serait avant tout négative, si on la replaçait dans le cadre, plus large, ou dans la perspective, plus profonde, de l'esprit concret :
Le sculpteur ne fabrique pas une sculpture, Il enlève ce qui la cachait 40.
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Les voies qu'emprunte la raison pour aller à Dieu sont des preuves, et, en revanche, ces preuves sont des voies. Cela ne leur enlève pas leur caractère de preuves, — quoiqu'elles soient souvent des preuves incomplètes 41, — mais leur Objet, unique entre tous les objets de pensée, leur confère un caractère à part. Elles ne nous le livrent pas comme les autres preuves nous livrent plus ou moins leurs objets. Elles ne nous le font pas pénétrer. Seul, d'une part, Dieu est présent déjà d'une présence intime à celui qui le prouve, — comme à celui qui le nie. Mais en même temps, d'une présence si insaisissable que, seul entre tous les objets, nous ne Le tenons pas 42.
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Dieu est « naturellement connu » de tous, mais Il n'en est pas toujours reconnu. Mille obstacles, du dedans et du dehors, empêchent souvent cette reconnaissance. Tous ne savent donc pas qu'ils Le connaissent, et par conséquent ne Le connaissent pas simplement. Ainsi — la comparaison est de saint Thomas 43 — lorsque j'aperçois venir Pierre, c'est bien en réalité Pierre que j'aperçois dans cet être qui vient vers moi, mais je ne sais pas encore que c'est lui 44.
On pourra être tenté de repousser la comparaison, car elle suppose que déjà, d'autre part, je connaissais Pierre, et que je vais bientôt le reconnaître tel que je le connaissais. Au lieu que dans le cas de Dieu, c'est une connaissance propre qui va succéder à une connaissance encore tout implicite. Ainsi je ne m'apprête pas à réellement Le reconnaître, mais à Le connaître pour la première fois.
Certes, aucune comparaison n'est parfaite, et il est trop clair que celle de saint Thomas ne s'applique pas à tout point de vue. Il n'en faudrait pourtant pas trop diminuer la portée. Lorsque je parviens à la connaissance explicite de Dieu, je ne Le reconnais sans doute pas comme quelqu'un que j'aurais déjà connu d'une même sorte de connaissance et que j'aurais depuis lors oublié ou perdu de vue. Je ne Le connaissais point encore consciemment, au sens ordinaire du mot. Néanmoins, la merveille est précisément que, connaissant Dieu pour la première fois, cependant je Le reconnais 45. Car — pour reprendre l'exemple que saint Thomas donne ici même — venant à connaître Dieu comme celui qui doit me rendre heureux, je connais du même coup l'identité de Dieu avec cette béatitude que je connaissais en la désirant, mais que je mettais d'abord en des objets trompeurs, ou plutôt l'identité de ma béatitude avec Lui. C'est bien là une reconnaissance. Ainsi en est-il à chaque fois. Jamais je ne découvre l'existence de Dieu comme je découvrirais, par exemple, l'existence de quelque cité lointaine, à laquelle ne me relierait aucun lien essentiel, et que je n'aurais qu'à enregistrer comme un fait extérieur. Disons encore, avec le R. P. Jules Lebreton, que « parler de Dieu à un homme, ce n'est point parler de couleurs à un aveugle »46. Sans doute bien des hommes se comportent à l'égard de Dieu comme un aveugle en face des couleurs ; mais les problèmes de philosophie réflexive ne sont point à confondre avec les problèmes de psychologie empirique ou de sociologie ; et si quelque jour un de ces aveugles recouvre la vue, au moment qu'il connaîtra Dieu, on pourra dire qu'il Le reconnaîtra. Car — et c'est là l'extraordinaire, la chose unique, admirable — l'habitude de Dieu, tenant à la nature même de l'esprit, est possédée par lui avant tout acte. C'est ce que saint Thomas insinue par sa comparaison, et lorsqu'il précise en même temps que par notre première connaissance, toute naturelle et implicite, Dieu n'est pas encore connu simpliciter, il précise par là même que d'une certaine manière Il est néanmoins déjà connu : c'est cela qui permettra, le moment venu, de Le reconnaître 47.
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Croire à une éternité dans l'instant, — comme toute haute expérience spirituelle y oblige, — sans admettre qu'elle soit une participation à l'Éternité éternelle, c'est s'enfoncer dans la contradiction. C'est accepter de vivre d'une illusion, sans se l'avouer pleinement.
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On peut faire à l'argument de saint Anselme l'objection classique des cent thalers : l'existence n'est pas un prédicat, elle n'est pas une perfection de l'essence... On peut aussi lui objecter que l'être auquel il aboutit n'est autre, finalement, que la pensée même qui le pose ; il ne serait valable que par la « virtualité d'idéalisme »48 qu'il contiendrait. En effet, « cet infini qui ne peut être pensé qu'objectif, comment existe-t-il, sinon comme étant ce pouvoir même de dépassement de l'esprit ? Cette grandeur indépassable, qu'est-elle sinon la grandeur même de la pensée, qui se sait capable de franchir toutes les limites ? Et, par là même, la chose affirmée qui n'a nul besoin que la pensée sorte d'elle-même pour l'affirmer, semble ne plus être que la pensée qui s'affirme en s'affirmant supérieure à tout. Voilà donc l'être absorbé dans la pensée ». En concluant à l'existence d'un Dieu distinct de cette pensée, on réaliserait donc un cas particulièrement typique de cette « aliénation » que les héritiers de Hegel s'attachent de tous côtés à dénoncer.
Rien peut-être mieux que cette objection ne permet de saisir la portée profonde et la signification dernière de l'argument. Il y faut seulement un prolongement de la dialectique anselmienne, qui lui fait rejoindre l'argument classique de la contingence.
« D'un point de vue strictement et exclusivement intellectuel, l'argument n'atteint pas et n'affirme pas autre chose que la pensée qui s'affirme elle-même, qui seule peut s'éprouver comme l'indépassable, par le pouvoir qu'elle a d'effacer toutes les images, de briser toutes les représentations, de surmonter toutes les limites. Et alors la réflexion qui prend conscience de cette grandeur sans bornes s'accompagne inévitablement d'une ambivalence ironique : est-ce autre que moi ? De ce même point de vue strictement noétique, est-il possible de trancher ? Nous le croyons, car l'expérience intellectuelle, qui seule doit intervenir ici, est l'expérience non seulement du triomphe de la réflexion par quoi la pensée s'affirme supérieure à toute chose, mais aussi du labeur de la réflexion, de cet acte de repousser et de nier la limite, qui toujours demande à se renouveler. Elle n'est pas seulement l'expérience d'une grandeur ; elle est aussi celle d'une exiguïté... : exiguïté et grandeur sont données ensemble dans leur rapport qui, précisément, est l'acte de réfléchir et de dépasser. Parce que la limite est franchie, parce que l'indépassable est affirmé, on ne peut oublier que ce franchissement réclame la limite, disons même qu'il est conscience de la limite. Par là, je sais tout à la fois que je ne suis que par l'indépassable et que je ne suis pas l'indépassable : je pâtis de cette grandeur qui me conditionne et me fait reconnaître mon étroitesse. Cela même qui se trouve affirmé comme étant à la fois dans l'esprit individuel et dans la réalité, c'est bien la pensée absolue, mais cette pensée absolue que l'esprit limité ne peut s'approprier ni absorber toute en lui, qu'il lui faut par là même s'opposer, devient, en cette opposition, la réalité de la pensée, c'est-à-dire l'Être même... » 49.
Dans sa stricte intellectualité, ce n'est donc pas le germe de l'idéalisme et de l'immanentisme que contient la preuve anselmienne : c'est une méditation sur la force et la limite, sur la misère et la grandeur conjuguées de notre pensée. Elle ne prépare pas non plus ou ne justifie pas indûment l'aliénation de l'homme ; elle lui montre, dans la reconnaissance de sa limite, le seul secret de la franchir.
Incomparablement plus forte en elle-même que toute autre preuve, parce que plus consubstantielle à l'esprit qui l'énonce, la preuve de Dieu est aussi — l'expérience le montre — toujours, en fait, plus éludable ; et c'est la même raison qui lui donne ces deux caractères apparemment opposés. Car Dieu n'est pas un objet parmi tant d'autres. Il ne peut être, s'Il est, que l'Objet total et la Vérité totale, investissant tout l'esprit. Or, en repoussant une vérité particulière, on accueille seulement une absurdité, tandis qu'en repoussant la Vérité totale, c'est d'un seul coup l'absurdité qu'on introduit en soi. Mais, tant que l'intelligence adhère encore à quelque région solide de l'être, la moindre absurdité lui fait naturellement horreur, parce que la moindre absurdité suffit à détruire, aussitôt perçue, la cohérence interne de son univers mental ; au lieu que, la loi de contraste ne jouant plus, elle éprouve beaucoup de peine à réaliser l'absurdité totale, qui se présente à elle comme une sorte de cohérence inversée, coextensive à tout son savoir. L'absurdité totale contamine à fond ce savoir, mais sans en troubler les liaisons internes. Ainsi l'intelligence peut-elle toujours, en subtilisant, se faire à soi-même illusion.
Les preuves de l'existence de Dieu sont incessamment soumises à deux sortes de critiques, dont certains détails peuvent bien parfois coïncider, mais qui n'en sont pas moins opposées dans leur source comme elles le sont dans leur résultat.
Les premières de ces critiques s'inspirent d'une conception sévère mais étriquée de l'intelligence ; ou bien, si elles s'en prennent aux preuves formulées dans le passé, elles envisagent superficiellement leur affabulation conceptuelle et les dehors de leurs formes logiques, sans souci d'en retrouver l'âme permanente. Historicisme littéral, qui, dans son exactitude même, laisse échapper l'essentiel des doctrines qu'il prétend juger ; il attribue de la sorte à une indigence de pensée chez l'autre ce qui n'est que l'indigence de sa propre méthode... De telles critiques aboutissent toujours, en même temps qu'à une mise en doute, au moins sur le plan rationnel, de l'existence de Dieu, à une mutilation de l'esprit.
Les secondes sortes de critiques, tout au contraire, sortent des exigences de la croyance en Dieu. Elles ne veulent pas de preuves qui ne mèneraient point au Dieu véritable. Elles ne veulent pas d'une Cause, ou d'une Fin, ou d'un Législateur, dont la transcendance ne serait point assurée. Un instinct supérieur les guide, celui-là même qui avait amorcé les preuves. Au vrai, bien plutôt qu'une critique, elles sont un approfondissement des preuves. Elles conspirent avec elles, pour les aider à se rectifier, à se parfaire. Elles en découvrent la vraie nature. Elles en discernent et en dégagent le principe moteur. L'esprit prend conscience, à travers elles, de ce que les preuves diverses ont d'unique et de total, de ce qui fait leur force supérieure à la force de toute autre preuve. Mise au point unificatrice, d'où ressort, à travers telles expressions marquées par une mentalité particulière ou par un état déterminé des sciences, la valeur suréminente, la valeur éternelle de l'opération de l'esprit qui, sans Le voir, mais infailliblement, pose Dieu. Opération qui n'est point une contrainte, à laquelle au contraire l'esprit ne saurait s'opposer qu'en se faisant violence et, autant qu'il est en lui, en se détruisant lui-même 50.
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Un professionnel se demande : « Peut-on vulgariser la preuve de l'existence de Dieu ? » Il semblerait que dans sa pensée, seul un petit nombre de spécialistes, techniciens de la science métaphysique, fussent en droit d'affirmer l'existence de Dieu en toute connaissance de cause. Seuls ils en auraient une véritable certitude. Tous les autres seraient à ce sujet dans l'illusion. Intellectuellement, leur affirmation ne serait pas valable. Tout au plus jouiraient-ils de préparations plus ou moins lointaines à l'exercice de la preuve, préparations qu'on peut admettre comme « fort utiles, à condition de les prendre pour ce qu'elles valent ».
Comment ceux qui parlent ainsi ne voient-ils pas, s'ils croient réellement en Dieu, qu'ils s'accordent un privilège exorbitant ? Comment ne voient-ils pas au moins que le point de vue d'où ils ont raison est encore superficiel ?
Il y a, leur répond M. Jacques Maritain, une connaissance de Dieu « doublement naturelle », fruit d'une aperception de l'être, « décidément plus profonde qu'aucun processus logique scientifiquement développé », parce qu'elle a sa racine dans une « intuitivité primordiale et simple »51. Pareille connaissance ne rend pas inutiles les preuves scientifiques, mais c'est elle qui les rend possibles, c'est son témoignage qui les soutient, et c'est à elle en fin de compte qu'il faut toujours revenir 52.
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On a souvent beau jeu de s'en prendre à certains détails de nos preuves « savantes ». Les matériaux qu'elles utilisent peuvent en effet n'être pas toujours également solides 53 ; les catégories qui sont à leur base peuvent aussi n'avoir pas toujours été suffisamment éprouvées ; l'appareil dialectique dont elles sont revêtues peut avoir des formes désuètes qui laissent échapper, comme par un filet trop lâche, l'objection subtile. « Tantôt (la réflexion critique) se trouve en présence d'une pensée riche et profonde, mais à l'état implicite et inexprimé ; tantôt, au contraire, elle rencontre des formules explicites qui se donnent pour des preuves authentiques de l'existence de Dieu, mais alors ces formules paraissent presque toujours vulnérables par quelque côté »54. Bref, il n'est pas promis au croyant qui raisonne qu'il sera toujours logicien rigoureux, ni analyste habile, ni savant averti, ni profond philosophe. Même bon raisonneur, sa technique peut être faible. Il n'y a pas de honte à l'avouer.
Mais la remarque doit aller plus loin. Toute pensée savante, en effet, est une pensée technique, et elle est comme telle, au sens étymologique du mot, artificielle. Or, à l'artifice, même légitime, un autre artifice, même sophistique, peut toujours opposer une instance, au moins provisoire. Pour triompher de cette instance, il faudra des précisions nouvelles, il faudra des justifications techniques qui peut-être ne prendront elles-mêmes leur valeur que grâce à l'apport de points de vue nouveaux. De nouvelles contestations ne manqueront pas d'en jaillir. Après s'être fait « entendre par les ignorants », il faudra encore, comme le dit Fénelon, « réprimer la critique téméraire des hommes qui abusent de leur esprit contre la vérité »55, — mais aussi faire choit à de nouvelles exigences qui peuvent apporter un gain positif. Après les difficultés de Locke ou de Hume, par exemple, voici poindre, engendrées par elles mais bien différentes, les difficultés de Kant. Voici bientôt celles de Hegel, puis de tant d'autres, toujours imprévues au moins pour une part, et toujours la réponse, pour être adéquate, suppose des réflexions inédites. Cela est sans fin. La raison n'est jamais à bout de ressources. La chaîne dialectique se forge toujours de nouveaux anneaux. L'esprit, dans sa marche, n'est pas à l'abri des faux pas, il s'égare en bien des impasses, mais il se creuse aussi lui-même, il découvre en lui de nouveaux ressorts, sa vie n'est jamais arrêtée. C'est une illusion de croire qu'il puisse jamais arriver à se satisfaire 56. Il faut en prendre son parti : c'est la condition pour ne pas croupir. Jamais on ne peut se reposer simplement sur l'effort des Anciens, même sur le plus heureux de ces efforts, même en faisant effort pour se l'assimiler au mieux. Ce n'est pas qu'il y ait à les dédaigner, ou à se persuader toujours qu'on les dépasse : bien loin de là. Mais la simple répétition n'est pas le moyen de les rejoindre vraiment. La preuve, en tout cas, reste au fond la même : on ne la dépasse pas. Seulement, la certitude première doit être indéfiniment reconquise, et pour rétablir les vérités les plus simples, il faut en certains cas non seulement bien des combats, mais encore bien des inventions.
Mais en attendant, celui qui, vraiment, croit en Dieu, ne se laissera point troubler. Aucune instance savante n'est capable d'ébranler sa foi — que cette instance soit d'ordre rationnel, ou dialectique, ou psychologique, etc. C'est que l'artifice déployé par la preuve savante et réfléchie n'était pour lui que la mise en œuvre et le contrôle rationnel d'une preuve plus simple, plus fondamentale et toujours subsistante. Preuve toute naturelle et spontanée, preuve peut-être, en bien des cas, informulée, mais qui n'en est pas moins inscrite « dans les plus profonds replis de la nature raisonnable ». Preuve qui ne cesse, au moment même où les objections paraissent insolubles, d'engendrer une conviction parfaitement raisonnable, « plus forte et plus inébranlable que n'importe quelle conviction artificiellement obtenue »57. Preuve qui est, de toute preuve savante, le ressort toujours intact.
Aussi, dans cette question de Dieu, quoi que certains soient tentés d'en penser, n'est-ce jamais la preuve qui manque. C'est le goût 58. Le diagnostic le plus triste et le plus alarmant à porter sur notre époque, c'est qu'elle a perdu, au moins en apparence, le goût de Dieu. L'homme se préfère à Dieu. Alors il détourne le mouvement qui le mène à Lui ; ou, ne pouvant réellement le détourner, il s'acharne à l'interpréter à faux. Il s'imagine avoir liquidé les preuves. Il appuie sur les critiques, et ne pousse pas au delà. Il se détourne de ce qui risquerait de le convaincre. Si le goût revenait, soyons sûrs que les preuves de Dieu reparaîtraient bien vite aux yeux de tous — ce qu'elles sont en effet si l'on a égard à leur âme — plus claires que le jour.
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 « Toute terre a des eaux, mais le Philistin, dont les goûts sont terrestres, ne savait pas trouver de l'eau dans toute terre. Il ne sait pas trouver en toute âme la raison et l'Image de Dieu »59.
...Non ego te disco, sed Ille, de quo loquimur, sine quo nihil possumus, nos durit, ubicumque viam veritatis teneamus.60
Cardinal Henri de Lubac, sj, in Sur les chemins de Dieu

1. Cf. le beau texte de saint THOMAS D'AQUIN, Contra Gentiles, 1. III, c. LIV, qui vise un problème un peu différent, mais qui n'en a pas moins ici son application ; car la raison donnée porte plus loin que son but immédiat : « Divina substantia non sic est extra facultatem intellectus creati quasi aliquid omnino extraneum ab ipso, sicut est sonus a visu, vel substantia immaterialis a sensu ; nam ipsa divina substantia est primum intelligibile et totius intellectualis cognitionis principium. Sed est extra facultatem intellectus creati sicut excedens virtutem ejus ». Et Louis LAVELLE, Préface à M.-F. SCIACCA, L'existence de Dieu (traduction Régis JOLIVET, 1951), p. 1o : « À plus forte raison, quand il s'agit de l'existence de Dieu, qui est l'être infini, faut-il dire que c'est en lui que notre pensée se meut dès sa première démarche, loin qu'elle puisse jamais aborder en lui, si on suppose qu'elle en était d'abord séparée ».
2. Cf. Régis JOLIVET, À la recherche de Dieu (Archives de philosophie, vol. VIII, 1931), p. 85 : « Il y a une « forme simple, commune, universelle, accessible à tous » des arguments ; p. 149, sur l'argument dit du mouvement : « si simple et si évident dans sa contexture générale ».
3. SCHEEBEN, Dogmatique, tr. fr., t. II, p. 21.
4. FÉNELON, Traité de l'existence de Dieu, première partie, ch. I, n. 2.
5. FÉNELON, loc. cit., n. I.
6. On aura remarqué que nous prenons ici position contre le criticisme kantien et ses suites.
7. Saint AUGUSTIN, Confessions, 1. XI, c. IV, n. 6 (P. L., 811) ; In Joannem, tract. 1o6, c. xvn, n. 4 (P. L., xxxv, 191o). Cf. Sagesse, XIII, I et 9.
8. André BREMOND, Une dialectique thomiste du retour à Dieu, loc. cit., p. 561.
9. Régis JOLIVET, op. cit., p. 85 : « ...Les preuves classiques de Dieu sont plus simples, plus obvies, moins litigieuses et, encore que « métaphysiques », s'imposent, en leurs éléments essentiels, avec une force souveraine. Leur forme savante, destinée surtout à répondre aux objections ou à les prévenir, n'est pas la forme commune, celle qui agit immédiatement sur l'esprit et le détermine à la croyance... Voilà pourquoi les objections les plus « subtiles » et les plus captieuses... n'arrivent pas, le plus souvent, chez le vrai croyant, à ébranler la croyance : le schéma simple et clair de la démonstration s'incorpore à l'esprit au delà et en dépit de toutes les apories des « habiles »... »
10. A. GRATRY, De la connaissance de Dieu, t. I, pp. 45-46 s S'il y a de vraies preuves de l'existence de Dieu, ces preuves doivent être à la portée de tous les hommes. Car la lumière de Dieu éclaire et devait éclairer tout homme venant en ce monde... Il faut chercher l'origine et la réalité (des preuves) dans quelque opération vulgaire et quotidienne de l'esprit humain ; or, cette opération sublime et simple étant trouvée, il suffit de la décrire et de la traduire en langue philosophique. Ensuite on démontrera sa valeur scientifique ». — Ce qui ne supprime pas l'importance et la nécessité, à leur plan, de considérations plus techniques, ainsi que nous le montrons dans le texte. Cf. ibid., t. II, p. 279 : « Pas de raison séparée de l'attrait supérieur qui cherche à l'élever ».
Quant à la manière particulière dont Gratry concevait cette « opération sublime et simple », elle semble appeler une mise au point, que l'on trouvera, infra, faite par le R. P. Maréchal. On pourra se reporter pour mémoire à l'article enthousiaste du P. RAMIÈRE, Du procédé dialectique, dans Études de théologie, de philosophie et d'histoire, t. II, 1857. pp. 85-13o. Voir aussi Louis FOUCHER, La philosophie catholique en France au XIXe siècle... (1955), ch. VIII, pp. 197-236. B. POINTUD-GUILLEMOT, Essai sur la philosophie de Gratry (1917).
11. Voilà pourquoi l'on a pu dire que les preuves de Dieu « sont moins une invention qu'un inventaire, moins une révélation qu'une élucidation, une purification et une justification des croyances foncières de l'humanité » ; Maurice BLONDEL, La Pensée, t. I, p. 392.
12. Ferdinand ALQUIÉ, La nostalgie de l'être (195o), p. 151 ; ibid. : « L'on sait combien la physique et la logique sur lesquelles a médité Kant ont influencé sa critique. »
13. Pour nous libérer techniquement du criticisme, l’œuvre la plus efficace est sans doute celle du R. P. Joseph MARÉCHAL. Cf. Le point de départ de la métaphysique, cahier V (1926), p. 452 : « Le principe transcendant de causalité exprime cette révélation, complémentaire et simultanée, de la contingence objective et de la Perfection éminente qui le mesure ». Et pp. 450-451. J. DEFEVER, op. cit., pp. 28-4o.
14. Nombre d'auteurs l'ont remarqué, sans pour autant expliquer les choses de la même manière. Cf. Pedro DESCOQS, S. J., Praelectiones theologiae naturalis, à propos des cinq « voies » de la Somme de saint Thomas : « Omnia argumenta nobis videntur ad unum esse reducenda et viam causalitatis efficientis implicare tanquam solam in ordine discursus scientifici apodicticam » (t. I, p. 353 ; t. II, p. 15). H. PAISSAC, Preuves de Dieu, loc. cat., p. 88 : « Les preuves de Dieu rayonnent autour d'un centre unique : l'affirmation de la causalité ».
15. Cf. Charles de MORÉ-PONTGIBAUD, loc. cit., pp. 510-511 : « ...Cette fixité dans la direction ; cette intrépidité dans la remontée vers un terme naturellement inaccessible ; cette facilité à embrasser spontanément, dans l'unité d'une même perspective, et dans un prodigieux raccourci, des ressemblances si dissemblables qu'elles excluent, de bas en haut, toute proportion stricte et toute commune mesure ; cette hardiesse du raisonnement qui chemine ainsi, sans craindre le vertige, sur le sentier du moyen terme analogique, écartant imperturbablement, de droite et de gauche, par ses négations, les chemins de traverse et les fausses pistes, et qui, au grand effroi de ceux qui mesurent cette remontée à l'une des démarches ordinaires de notre esprit, « passe à la limite », et au bout de sa route, facilement, pose l'Infini ou plus exactement se réfère à Lui en son affirmation, alors qu'il faut à la raison, pour justifier et préciser cet itinéraire, de si laborieux efforts ; — tout cela serait périlleux sans doute, et se concevrait mal, s'il s'agissait de passer d'une idée particulière à une autre idée particulière, mais cela est normal et légitime si, en ce faisant, nous suivons seulement l'inclinaison fondamentale et constante de notre intelligence, sous la direction de la cause première, vers la source unique et totale de réalité et d'intelligibilité ».
16. Saint AUGUSTIN, De Civitate Dei, 1. VIII, c. IV : « ...ut in Illo inveniatur et causa subsistendi, et ratio intelligendi, et ordo vivendi : quorum trium, unum ad naturalem, alterum ad rationalem, tertium ad moralem partem intelligitur pertinere. Si enim homo ita creatus est, ut per id quod in eo praecellit, attingat illud, quod cuncta praecellit, id est, unum verum optimum Deum, sine quo nulla natura subsistit, nulla doctrina instruit, nullus usus expedit : Ipse quaeratur, ubi nobis secura sunt omnia ; Ipse cernatur, ubi nobis certa sunt omnia ; Ipse diligatur ubi nobis recta sunt omnia » (P. L., XLI, 228-229). Cf. c. X, n. 2 (col. 235). Contra Faustum Manichaeum, 1. XX, c. VII : « ...Inde nobis est initium existendi, ratio cognoscendi, lex amandi, inde omnibus et irrationalibus animantibus natura qua vivunt, vigor quo sentiunt, motus quo appetunt ; inde etiam omnibus corporibus mensura ut subsistant, numerus ut omentur, pondus ut ordinentur » (P. L., XLII, 372).
17. Cf. H. PAISSAC, loc. cit., pp. 9o-94 « Si Dieu est seule ment un objet parmi tous les autres, ou le premier chaînon de la chaîne ; si, par exemple, le teint d'un visage humain s'explique par la nature des cellules qui s'explique par la constitution des chromosomes qui s'explique par Dieu, Dieu n'est pas Dieu. Du moins on n'a pas démontré l'existence du vrai Dieu... De ce qu'il y a de la causalité dans le monde, il ne s'ensuit pas qu'il y ait une causalité du monde. Kant a raison si l'on cherche à établir une preuve exclusivement scientifique de l'existence de Dieu, c'est-à-dire si la cause représente « le phénomène qui en produit un autre »... (Seulement, en métaphysique) la cause n'est plus seulement « le phénomène qui en produit un autre », elle est ce que suppose ou requiert un existant qui ne s'identifie pas avec son acte d'exister... (Or) « on ne peut pas aller à l'infini », dit saint Thomas. Et l'on comprend ce qu'il veut dire : il n'est question ni de chaîne ni de convoi, comme si l'on ne pouvait supporter la fatigue de compter une infinité de voitures ou de maillions, mais on est obligé de sortir de la série, à un moment ou à un autre... On pourrait aller à l'infini dans l'ordre de l'explication scientifique. Mais il faut sortir de cet ordre : on ne peut pas remonter à l'infini et trouver là une cause définitive, il faut une fin, c'est-à-dire une cause dernière ou première. Non pas un numéro premier au terme d'une série plus ou moins longue, mais un Autre, en toute rigueur de terme, un Premier en ce sens qu'il dépasse tous les autres, et ne fait plus partie du reste, étant d'un tout autre ordre. Si l'on veut une image pour soutenir l'attention, on peut bien se représenter le wagon qui passe, et non pas la série indéfinie des voitures qui le précèdent ni même la motrice entraînant l'ensemble du train, mais plus simplement, plus définitivement, l'énergie électrique courant dans les câbles et dominant la totalité du convoi ».
18. Etienne GILSON, répondant à Léon BRUNSCHVICG, dans La querelle de l'athéisme (Léon BRUNSCHVICG, De la vraie et de la fausse conversion, p. 228). — Il suffit de se rappeler que saint Thomas admettait la possibilité d'un monde créé ab aeterno, c'est-à-dire d'un monde où des séries de causes et d'effets se succéderaient à l'indéfini, sans commencement comme sans terme, pour se trouver forcé d'admettre qu'il ne pouvait commettre la confusion qui est au principe de tant d'objections contre la preuve la plus classique de l'existence de Dieu. — Il faut un premier moteur, disait déjà en substance Aristote, non parce qu'il faudrait un premier terme dans une série quelconque (temporelle), mais parce qu'il faut une Première cause dans une série (hiérarchisée) de causes.
19. Saint AUGUSTIN, De Trinitate, I. VIII, c. III, n. 4 : « Bonum tennis boni » (P. L., XLII, 949). PSEUDO-DENYS, Des Noms divins, 5, 3. Saint BERNARD, De consideratione, I. V.
20. Saint PAUL, dans Act., XVII, 28. Cf. JEAN SCOT ERIGÉNE, De division naturae, 1. I, n. 1I ; 1. III, n. I (P. L., CXXII, 451-452 et 621 D). M. BLONDEL, L'Action, p. 346 : Dieu « est au centre de ce que je pense et de ce que je fais... Pour aller de moi à moi, je le traverse sans cesse ».
21. G. VAN DER LEEUW, L'homme et la civilisation, dans Eranos-Jahrbuch, t. XVI (1948), p. 170.
22. Gaston FESSARD, France, prends garde de perdre ton âme (1946), p. 149 ; voir les pp. 133 à 15o.
23. Félix RAVAISSON, La philosophie française au XIXe siècle (45 éd. 1895), P. 50. Cf. Yves DE MONTCHEUIL, S. J., Une philosophie du devoir, dans Mélanges théologiques (1946), pp. 238-239. Jules MONCHANIN, De l'esthétique à la mystique (1955), PP. 43-44. — Quelques philosophes ont conçu, pour l'esprit créé, une fin possible qui consisterait en quelque sorte à n'en point avoir. Celui à qui Dieu n'aurait point offert la divine vision, ne se contenterait pourtant d'aucun bien fini, mais tendrait indéfiniment vers cette vision comme vers un pôle toujours attirant quoique inattingible. Sans discuter ici une telle hypothèse, qui ne va pas sans de sérieuses difficultés (et qui ne trouve guère de fondement dans le thomisme dont elle se recommande parfois), il nous suffira d'observer qu'elle n'a rien de commun, en tout cas, avec l'idée d'un Devenir pur, idée que nous critiquons ici comme absurde. En effet, l'hypothèse mentionnée concerne un univers créé par Dieu, elle s'inscrit donc d'emblée à l'intérieur d'une pensée qui reconnaît une stabilité ontologique fondamentale et, par là même, le devenir indéfini dont elle parle est un devenir orienté.
24. Paul CLAUDEL, Correspondance avec Jacques Rivière, p. 6o. Cf. PLOTIN, Ennéades, V, I, 6 : « Tout ce qui se meut requiert quelque chose vers quoi il se meuve ».
25. Cf. Is., XLI, 4. Apoc., I, 8. Cf. P. TEILHARD DE CHARDIN, Le groupe zoologique humain (1956), pp. 156 et 162 : « Foyer universel d'intériorisation psychique », « Principe absolument ultime d'irréversibilité et de personnalisation ».
26. Saint BONAVENTURE.
27. Cf. Ferdinand ALQUIÉ, La nostalgie de l'être, p. 57 : « Il est assez naturel que la plupart des savants, consacrant leur vie à la recherche de l'objectivité, laissent s'aliéner en cette recherche leur exigence d'être ; mais le réalisme qu'ils professent est alors de l'ordre de la déformation professionnelle ».
28. A-tome = insécable, in-désintégrable.
29. KIERKEGAARD, Journal, XII A 354 (1850) ; trad. K. FERLOV et J.-J. GATEAU (1955), p. 309. Gabriel MARCEL. Cf. Gaston FESSARD, La méthode de réflexion chez Maine de Biran (1938), p. 170, sur le rêve du savoir absolu : « Rêve absurde ? — Point du tout, et le tort de l'homme naturellement métaphysicien n'est pas de rêver de la sorte ni même de vouloir transformer son rêve en réalité, mais seulement de croire qu'il y soit jamais parvenu, oubliant ainsi que la science de l'être ne peut exister en qui n'est pas encore. Mais d'autre part, le tort n'est pas moindre en ceux qui, pour avoir reconnu le mirage de l'ontologie faite, arrêtent une poursuite qu'ils déclarent chimérique, oubliant de leur côté que la science de l'être ne peut être rêvée que par qui doit être ».
3o. C'est ce que M. F. ALQUIÉ nomme encore « la réaction philosophique de la conscience » à la pensée scientifique. Reprise qui est tout autre chose qu'un développement ou qu'un dépassement, et dont la conscience éprouve éternellement le besoin, en vue « de se situer par rapport au monde... que lui offre la science » : op. cit., pp. 9, 4o et 151. Cf. p. 127, sur « les doctrines de l'intuition et les systèmes » qui « laissent apparaître leur essence commune » en égarant l'esprit dans le monde des objets alors qu'ils prétendent « lui livrer l'Être ».
31. Saint THOMAS, Prima, q. LXXIX, a. 2 : « Nullus intellectus creatus potest se habere ut actus respectu totius entis universalis ; quia sic oporteret quod esset ens infinitum. Unde omnis intellectus creatus, per hoc ipsum quod est, non est actus omnium intelligibilium ».
32. Ernest PSICHARI, Le Voyage du Centurion.
33. Saint AUGUSTIN, De vera religione, c. XXXIX, n. 72 (P. L., XXXIV, 154.). Le Cardinal ZIGLIARA, qui cite et commente ce texte, s'attache à montrer comment la doctrine de saint Thomas est ici conforme à celle de saint Augustin. Œuvres philosophiques, tr. fr., t. II, pp. 206-208.
34. Saint BERNARD, De diversis sermo LXXXI, n. 2 (P. L., 103, 703 B).
35. Cf. Aimé FOREST, dans MARTIN et FLICHE, Histoire générale de l'Eglise, t. XIII (1951), p. 57 : bien que critiqué par saint Thomas, l'argument de saint Anselme fait du moins « comprendre que le problème de Dieu est unique ».
36. Marius VICTORINUS, Adversus Arium, I. IV, c. 23 : « Omnia enim quae voces nominant, post Ipsum sunt » (P. L., VIII, 1129 D). Saint ANSELME, Monologion, c. 26 : « ...Unde si quando illi est cum aliis nominis alicujus communio, valde procul dubio intelligenda est diversa significatio » ; c. 27 : « ... Constat igitur quia illa substantia nullo commun tractatu substantiarum includitur, a cujus essentiali cornmunione omnis natura excluditur » (P. L., 18o A et B).
37. Saint THOMAS, Prima, q. III, a. 5, etc. Dans la Philosophie de saint Bonaventure (2e édition, 1943, P. 115, note, M. Etienne GILSON commente ainsi l'article cité de la Somme au Sed contra (« Nihil est prius Deo, nec secundum rem, nec secundum intellectum ») : « Si Dieu était dans un genre, quelque chose lui serait antérieur ; en effet, l'idée du genre est antérieure, pour l'entendement qui classe les idées, à celle de l'espèce contenue sous le genre ; or, il n'y a pas plus en nous d'idée qui soit logiquement antérieure à celle de Dieu, qu'il n'y a hors de nous de réalité qui soit antérieure à Dieu même ». « La réalité divine est antérieure à l'être et à toutes ses différences ». (La Sainte Trinité..., par un Chartreux, 1948, p. 33.) CAJETAN, In Primam, q. 39, a. I, n. 7 : « Deitas seu res divina prior est ente et omnibus differentiis ejus : est enim super ens et super unum ». — Nous n'en pouvons (et devons) pas moins faire des raisonnements légitimes dans lesquels l'existence de Dieu ne figure qu'en conclusion, car, ainsi que le remarque encore M. Gilson, « prius secundum intellectum » ne signifie pas « prius secundum cognitionem ». Autrement dit, Dieu n'est pas pour nous le premier objet connu. On ne saurait sans illusion se ranger à la thèse des ontologistes, « qui confondent l'être abstrait que l'intelligence perçoit sans raisonnement avec l'être concret qui constitue l'essence même de Dieu, l'être le plus pauvre de tous avec la réalité infinie » (Xavier MOISANT, S. J., Dieu, l'expérience en métaphysique, 1907, p. 25), — ce qui est encore une manière de mettre Dieu « dans le genre ». Notre remarque concernant la voie qui mène à Dieu se situe après cette double constatation. Cf. ch. II, note 18.
38. J. DEFEVER, S. J. La preuve transcendante de Dieu, dans Revue philosophique de Louvain, 1953, p. 527 : « La preuve de l'existence de Dieu n'est pas une preuve comme une autre ». J.-M. LE BLOND, Le chrétien devant l'athéisme actuel (Etudes, 1954, p. 301) : « La preuve de Dieu est d'un autre ordre, d'un ordre qui ne convient qu'à elle seule ». N'est-ce pas là ce que M. l'abbé Maurice NÉDONCELLE nomme, d'une expression heureuse, « le court-circuit de la connaissance de Dieu » ? Cf. La réciprocité des consciences (1942), p. 107 : « La plupart des discussions sur la nécessité de recourir à l'intuition ou au raisonnement pour trouver Dieu sont assez vaines. On y confond d'ordinaire deux choses très distinctes ; le caractère immédiat et le caractère direct de la connaissance. Connaître quelqu'un dans sa notion, qui est indirecte et symbolique, ce n'est pas le connaître en lui-même, c'est seulement repérer sa présence probable. Et c'est pourquoi l'une des deux écoles, de tendances plus mystiques, repousse les secours du raisonnement ou les enchaînements systématiques de l'analyse. Mais prétendre que Dieu est atteint immédiatement par une évasion de nous-même et du monde, c'est méconnaître la condition créée et peut-être même ce qu'il y a d'unique dans le rapport de la créature à Dieu D'où les défiances légitimes des partisans d'une preuve discursive pour la prétendue intuition de Dieu. — En réalité, la méthode d'approche qui convient à ce problème est différente de toutes les autres. La réflexion qui prend son point de départ en nous n'y fait pas obstacle à l'intimité. Si la connaissance de Dieu est possible par une sorte de court-circuit, c'est qu'Il communie totalement à notre perspective d'existence ; et nous n'avons en aucun cas l'exemple d'une telle communion ».
39. J.-H. NEWMAN, Callisto, ch. XXVII (trad. fr., 6e éd., 1718, pp. 286-287).
40. John DONNE. Cf. PSEUDO-DENYS, Théologie mystique, ch. II : « Ainsi procède l'artiste pour faire un buste au naturel. Il détache de son bloc ce qui l'empêche d'apercevoir la pure figure encore cachée ; ce retranchement suffit à mettre en pleine lumière la beauté latente ». L'idée vient de PLATON, République, I. X, 61 c-e ; et de PLOTIN, Ennéades, I, VI, 9. Cf. saint GRÉGOIRE de NYSSE, dans P. G., XLIV, , 541 D-544 A, et 1069 B.-C. Jacques PALIARD, Profondeur de l'Ame (1953), P. 46 : « Démontre-t-on l'essentiel autrement qu'en éliminant ce qui le simule ou le dissimule ? » BOSSUET, Elévations sur les Mystères, 1ère semaine, 2e élévation, La perfection et l'éternité de Dieu : « L'homme ignorant croit qu'il connaît le changement avant l'immutabilité, parce qu'il exprime le changement par un temps positif et l'immutabilité par la négation du changement même ; et il ne veut pas songer qu'être immuable c'est être, et que changer c'est n'être pas ; or l'être est, et il est connu devant la privation qui est le non-être ». (Œuvres complètes, éd. F. Lachat, t. VII, 1862, p. 5).
41. Cf. les conclusions historiques de F. VAN STEENBERGHEN sur les cinq voies de la Somme théologique : « Aucune des quinque viae ne constitue, dans sa teneur littérale, une preuve complète et satisfaisante de l'existence de Dieu. La 1ère et la 2e doivent être prolongées ; la 3e et la 5e doivent être corrigées et complétées ; la 4e via est inutilisable... » Revue philosophique de Louvain, t. XLV (1947), P. 168. Il est d'ailleurs loisible de discuter ces conclusions. Sur quelques problèmes d'interprétation, cf. William BRYAR, Saint Thomas and the Existence of God (Chicago, 1951).
42. Cf. Jacques MARITAIN, Les degrés du savoir (1932), pp. 445-446 : « Quand nous avons affaire aux choses proportionnées ou connaturelles à notre intelligence, la démonstration, tout en se soumettant à l'objet, soumet aussi d'une certaine manière l'objet à nos prises, à nos moyens de vérification qui le mesurent, le délimitent, le définissent. Elle s'empare de l'objet, le touche, le manie, le juge. Cela est d'autant plus sensible qu'elle a lieu par des procédés Plus matériels. Et peut-être les scolastiques, qui ont reçu en héritage la haute notion d'une science chaste, dont la rigueur même et la stricte intellectualité procédaient d'un respect religieux et d'une exigence de pureté en face de l'être..., peut-être oublient-ils quelquefois à quel point les mots de science, de démonstration, de preuve, se sont chargés de matérialité dans l'usage des modernes, depuis que la pensée s'est tournée avant tout vers la domination de la nature sensible, et que « vérifier » n'évoque plus pour elle que des méthodes de mensuration et des appareils de laboratoire. En se refusant comme ils le doivent à un vocabulaire dégradé, ils risquent alors de ne pas expliquer suffisamment leur propre lexique. Mais en tout cas ils savent que démontrer l'existence de Dieu n'est pas le soumettre à nos prises, ni le définir, ni s'emparer de lui, ni manier autre chose que des idées infirmes à l'égard d'un tel objet, ni juger autre chose que notre propre et radicale dépendance. Le procédé par lequel la raison démontre que Dieu est, place la raison elle-même dans une attitude d'adoration naturelle et d'admiration intelligente ».
Voir aussi saint THOMAS, Contra Gentiles, 1. IV, proemium.
43. Saint THOMAS, Prima, q. II, a. 1, ad Im : « Cognoscere Deum esse, in aliquo commun sub quadam confusione, est nobis naturaliter insertum, in quantum scilicet Deus est hominis beatitudo ; homo enim naturaliter desiderat beatitudinem ; et quod naturaliter desideratur ab homine, naturaliter cognoscitur ab eodem. Sed hoc non est simpliciter cognoscere Deum esse, sicut cognoscere venientem non est cognoscere Petrum, quamvis sit Petrus veniens ».
44. Nous avions écrit : « ...comme lorsque j'aperçois venir Pierre, sans savoir encore que c'est lui, dit saint Thomas ». On a fait observer : « Ainsi je ne connais pas Pierre dans le venant ; bien que ce venant soit Pierre. C'est tout ce que dit saint Thomas ». Nous ne voyons pas un abîme entre ces deux traductions. Mais nous tenons compte aussi des mots qui précèdent : « simpliciter cognoscere... ». Nous ne voulons mettre en tout cas rien autre, sous notre formule française, que le sens très simple mais très instructif que recouvre la formule latine de saint Thomas.
45. C'est d'un paradoxe analogue que s'émerveillait saint AUGUSTIN, quand il s'écriait, s'adressant à la Raison : « Qui nondum Deum nosti, unde nosti nihil te nosse Deo simile ? » Soliloques, c. II, n. 7 (P. L., XXXII, 873).
46. La connaissance de foi, dans Etudes, t. CXVII, 1908, p. 735.
47. Cf. H. PAISSAC, cité supra, ch. II, note 32. Il est clair, d'ailleurs, que le seul texte de saint Thomas ici rappelé ne suffirait point à autoriser toute la doctrine relative à la connaissance implicite de Dieu.
48. Cf. D. PARODI, Le rationalisme et l'idée de Dieu, dans Revue de métaphysique et de morale, 1930, pp. 41-42 : « La transcendance de l'Absolu, sous la forme qui seule nous semble pouvoir encore être admise par la métaphysique critique de notre temps, ne peut être que le jaillissement créateur de la pensée, réalisant de quelque façon la conscience de sa propre unité et de sa continuité, de sa fécondité et de son progrès infinis ».
49. Jacques PALIARD, Prière et dialectique, méditation sur le « Proslogion » de saint Anselme, dans Dieu Vivant, 6, pp. 56 et 59-60. Du même : Sur un aspect de la structure conscientielle, dans Actes du 3e congrès des sociétés de philosophie de langue française (Bruxelles, 1947). Cf. Jean TROUILLARD, La purification plotinienne (1955), PP. 88-90.
5o. C'est en ce sens que nous serions portés à élargir la remarque faite par le R. P. CHENU, op. cit., p. 553 : « Parmi les divers types de démonstration, il faut faire une place tout originale à la structure interne de certaines démarches métaphysiques, telles que la preuve de l'existence d'un être parfait par les degrés inégaux de l'être. Cette dialectique, qui est au sommet d'une métaphysique de la participation, peut certes s'exprimer sous la forme d'un syllogisme ; en réalité la démarche de l'esprit est plus simple et plus concentrée : nous touchons là au point où l'intelligence fonctionne formellement comme nature proprement transcendante, non plus seulement comme seule raison. » La profondeur même et la perfection d'un tel mouvement de l'esprit font alors que ce mouvement n'est jamais accompli une fois pour toutes : il est toujours en train de se faire, comme l'esprit lui-même est toujours en train de vivre. C'est ce qu'explique, nous semble-t-il, le R. P. L.-B. GEIGER dans un passage que cite le R. P. CHENU, et que nous prendrions volontiers aussi dans un sens élargi : « Cette démarche est d'ailleurs singulière par un autre aspect, en tant qu'elle est un départ qui jamais n'aboutit, pleinement. Elle est toujours à recommencer, et elle n'est jamais aussi vraiment ce qu'elle doit être qu'autant qu'elle crée en nous la conviction et de sa nécessité et de son inévitable imperfection. Elle est une mise en route qui jamais n'atteindra ici-bas au repos de la pleine possession ». La participation dans la philosophie de saint Thomas (1942), p. 355. Mais, ajouterons-nous, dans ce genre d'imperfection consiste précisément la perfection de la preuve, sa seule validité, s'il est vrai qu'elle veut être preuve de Dieu. N'est-ce pas là ce que peut suggérer en général ce mot de « voie » choisi par saint Thomas dans la Somme théologique ?
51. Approches de Dieu (1953), pp. 1o et 18 ; cf. pp. 15-16.
52. Cf. encore L.-B. GEIGER, Bulletin de Philosophie, dans Revue des sciences philosophiques et théologiques, 1954, P. 268 :
Les essais récents de théologie naturelle « marquent au fond l'abandon du rationalisme de type wolfien, où les concepts métaphysiques doivent être séparés autant que possible de toute donnée empirique, donc aussi de toute la vie mentale pré-philosophique. Il importe, au contraire, nous semble-t-il, d'accentuer la réflexion sur l'ensemble des démarches spontanées par lesquelles l'homme s'élève à Dieu. Les voies proprement philosophiques n'ont pas à craindre ce rappel de leurs humbles origines ».
53. Cf., pour un exemple tiré de saint Thomas, M. F. Van STEENBERGHEN, dans l'Histoire générale de l'Eglise de Martin et Fliche, t. XIII (1951), p. 254, note 7 : Dans le Contra Gentiles « la preuve de Dieu ex parte motus reçoit un développement qui peut paraître disproportionné par rapport aux autres voies. Chose plus grave, l'exposé est encore très lié à la physique d'Aristote. Ces défauts disparaîtront dans la Somme théologique ». Cf. M. CHOSSAT, S. J., Dieu, dans Dictionnaire de théologie catholique, t. IV, col. 932-935 : « Quant à l'argument du premier moteur tel que saint Thomas l'a compris, il y a longtemps qu'il ne s'enseigne plus, même dans l'Ecole thomiste... Si on prend l'argument dans le sens où historiquement saint Thomas l'a emprunté aux Arabes, il ne conclut pas, et la critique de Scot est décisive... Les néo-thomistes, par le moyen de considérations métaphysiques, ... abandonnent en réalité comme tout le reste de l'Ecole l'argument physique du premier moteur... (Il a seulement) survécu dans la scolastique protestante, chez quelques philosophes et aussi chez quelques apologistes de bonne volonté ». (Réflexions un peu « historicistes »
54. F. VAN STEENBERGHEN, dans Revue philosophique de Louvain, t. XLV (1947), P. 166.
55. Lettres sur divers sujets de métaphysique et de religion, lettre II.
56. Comment a-t-on pu sérieusement croire qu'il était peut-être « réservé à notre siècle d'arriver enfin à des formules pleinement satisfaisantes » dans l'expression de la preuve de Dieu ? « Ce fait, a-t-on dit, n'a rien de surprenant si l'on admet que le savoir métaphysique est arrivé, pour la première fois à notre époque, au terme du processus de sa genèse historique. » Mais voilà précisément ce qu'il n'est pas aisé d'admettre, malgré Hegel ! Péguy répondait, avec son bon sens : « On ne dépasse pas Platon ». On ne dépasse pas davantage saint Thomas. Et d'autre part, pour ne pas perdre l'essentiel, toujours menacé par des voies nouvelles, de nouveaux efforts s'imposent : L'illusion signalée ici nous paraît cumuler l'illusion de l'historique et celle du définitif.
57. SCHEEBEN, Dogmatique, traduction BELET, t. II, p. 21. Cf. supra, notes 3, 8 et 9. Cf. Jacques MARITAIN, Approches de Dieu (1953), p. 16 : « La connaissance de Dieu, avant d'être développée dans des démonstrations logiques et parfaitement conceptualisées, est d'abord et avant tout un fruit naturel de l'intuition de l'existence ».
58. Cf. H. GEURTSEN, Les preuves de l'existence de Dieu, dans Dixième congrès international de philosophie (Amsterdam, 1948), vol. I, p. 838 : « La valeur de l'argument ne dépend pas de notre acceptation volontaire, mais nous estimons que cette inclination à l'admettre est la condition essentielle pour en percevoir la force intellectuelle ».
59. ORIGÈNE, Sur la Genèse, homélie XIII, n. 3 (traduction Louis DOUTRELEAU, « Sources chrétiennes », vol. 7, p. 22o).
6o. S. ANSELME, Cur Deus homo, II, 9.