jeudi 5 mai 2011

En méditant... Frère Roger, Bannir la peur


DANS l'immense confrontation qui se prépare il nous est demandé de « prier pour que ces choses n'arrivent pas en hiver », c'est-à-dire pour que rien ne soit trop cruel, trop violent, pour qu'il n'y ait pas trop de victimes parmi les faibles de ce monde.
Mais nous ne saurions vivre dans la crainte. L'homme qui veut être ouvrier d'unité, et dans ce but s'incorporer à la civilisation qui vient, doit d'abord exclure la peur. L'homme ne craint rien lorsqu'il est fondé en Dieu. Il est alors à l'avance un homme victorieux.

Être à l'avance des victorieux, cela signifie d'abord ne plus user nos forces contre nous-mêmes, à l'intérieur de notre chrétienté. Il importe de renoncer aux malheureuses habitudes d'étiqueter et de qualifier trop rapidement un chrétien de progressiste ou d'intégriste et de le disqualifier sans se rendre compte que par là déjà on détruit quelque chose du Corps même de Jésus-Christ. On n'attaque pas impunément ce Corps.

Être victorieux, cela peut encore signifier que nous n'usions plus nos forces contre d'autres hommes au dehors, contre ceux qui n'ont pas la foi ou même contre les puissants de ce monde. Contre ceux-ci, nous aurions beau unir les forces matérielles de toutes les chrétientés, nous ne pourrions pas grand'chose. De toutes façons, il nous faut rejeter tout esprit de croisade contre qui que ce soit sur cette terre, bannir cette peur viscérale qui s'empare de nous en face des diverses idéologies, et ne jamais espérer que la réunion des chrétiens leur donnerait une puissance capable d'abattre le vis-à-vis étranger.

Le chrétien devrait, à cause de ce qui l'habite, être un homme qui entraîne avec lui en avant. Il court vers le Christ. Il n'a plus de peur.

Bien sûr, en face des divers matérialismes, il est juste que les bergers avertissent les fidèles des dangers qui les menacent et cherchent constamment à rassembler le troupeau. Mais dans ce cas, ces bergers ne réagissent pas à ce moment-là sous le coup de la peur, mais de façon positive, en fonction d'un ministère pastoral qui leur est confié.

Il importe de garder la tête froide, de prendre le recul de l'histoire, afin de ne jamais confondre et ne jamais assimiler la civilisation de la technique et des masses avec les idéologies qui en sont présentement le support en certains lieux du monde. Plus que des idéologies dépassées, le chrétien de demain aura à affronter une situation créée par des applications technologiques à peine imaginables aujourd'hui.


Le vrai danger de la nouvelle civilisation demeure spirituel, il résulte de l'avance incomparable de l'enseignement scientifique. La réelle difficulté suscitée par le monde de la technique réside dans l'emprise de l'enseignement qui est élevé au rang d'une religion. Il est très frappant de constater à cet égard, dans les villes de la vieille Asie musulmane, que tous les regroupements de musulmans, jusqu'alors nomades, dans des cités nouvellement construites, arrachent à leurs croyances islamiques ceux qui traversent la filière des études secondaires et universitaires. Les résultats des grandes découvertes de la science captent l'homme dans sa totalité, lui donnent tout d'abord un sentiment de plénitude, et absorbent en quelque sorte le sens de Dieu. Si invraisemblable que cela paraisse, l'envoi de satellites dans les espaces sidéraux fait obstacle à une réflexion sur le Dieu maître du ciel et de la terre. Et ceci n'est pas vrai seulement pour les esprits primaires. À l'Est comme à l'Ouest, pour l'homme de la technique, Dieu est mort.
C'est donc bien ici que doit se situer, au sein des chrétientés, le rôle du berger, du pasteur. Mais un vrai berger, s'il est pris d'une peur panique, ne peut plus rien faire pour protéger son troupeau et il lui communique sa propre crainte. Un homme qui a reçu vocation sacerdotale et pastorale cherche le moyen de faire pénétrer l'Évangile là où il n'est pas. Ce n'est pas en se raidissant sur des positions de principe que l'on rendra le monde de la technique perméable à l'Évangile. Telle sera l’œuvre de la génération chrétienne à venir : délivrée de la peur, atteindre l'homme de la technique là où il est possible de le trouver, et dès lors s'unir, non pas contre, mais pour les hommes qui ne peuvent croire.

Frère Roger, in L'Unité, espérance de vie