lundi 28 mars 2011

En musant... Patrice de La Tour du Pin - Psaume du Carême

Dieu, notre Dieu, explique-toi
car nous captons moins bien tes signes.

Ne me reproche pas ce cri,
il a bousculé ma prière.

Sommes-nous encor tes services
et tes agents de transmission ?

Nous étions affectés à la reconnaissance,
mais où sont nos renseignements ?

A ton appel vers le désert,
nous nous sommes levés au milieu des Pourquoi ?

« Pourquoi marcher à contresens de vie,
quarante jours vers la déperdition ?

Pourquoi ces manœuvres ineptes ?
qui a signé l'ordre aberrant ? »

Et l'on nous prend pour du bétail
suivant un spectre de berger !

On nous crie : où sont vos déserts ?
ce fameux peuple est commandé par la routine.

On nous harcèle tant que nous te harcelons,
on nous force à entrer dans le désert de toi.

A perte de vue la pierraille,
le pourquoi ? pourquoi ? des corbeaux.

Nos réserves sont des puits vides,
ta mémoire ne subvient plus aux besoins.

L'écho des anciens chants à ta gloire fait mal :
renforce ta louange à venir !

Qu'elle reprenne entre deux roches,
qu'elle gonfle le cri réduit à ton seul Nom !

Avant qu'il soit trop tard pour la prière,
et que je sois réduit à la pierre sans voix...

Dieu, notre Dieu, ils nous poursuivent,
ils sont entrés au monde où nous vivions de toi !

Ils ont violé nos refuges,
ils sont postés aux carrefours de la pensée.

Ils ricanent devant tes signaux à nos pères,
ils les traduisent sans t'implorer.

Ils posent leurs panneaux sur tes routes
et leurs affiches sur ton ciel.

Si nous partons : « Voyez leur bel amour des hommes ! »
si nous restons : « Voyez quelle fidélité ! »

Mais dans ton souffle est la réponse,
ils ne peuvent l'entendre encore :

Voyez ! nous partons au désert,
vous restez par force avec nous.

Voyez vous-mêmes : le vide est surpeuplé,
nous sommes solidaires de vous.

Le fermier de grande culture s'y avance
au même train que le pense-petit.

Le brasseur d'idées qui nous raille :
priez ! priez le ciel bouché !

Le fonctionnaire du Pouvoir :
laissons-les faire ! ils ne comptent plus.

Les jeunes gens et leur sarcasme :
« c'est bon pour les vieux, cet exode ! »

Oui, le désert est surpeuplé,
toi seul nous conduis à l'avance.

Ta lumière peut les aveugler !
elle nous éclaire le Corps de l'Homme !

Oui, la loi de mort nous ramène à la terre :
tu es l'Esprit qui la prévient.

La loi muette nous dépouille :
tu es la Voix qui crie : « Dépouillez-vous !

Avant qu'il soit trop tard pour vêtir les autres,
et partager avec ceux qui ont faim.

Car je suis le Seigneur qui s'abaisse et se dépouille,
et à cela je reconnais les miens.

Je vous offre la nuée qui précède votre heure :
ne craignez pas que le ciel soit troublé ».

Tu nous rassembles sous ce signe,
mais sur le mot de trouble, ils se ruent.

Ils consultent leurs inventaires,
leurs enregistrements du monde intérieur.

Parce que l'ordre nous déroute,
ils appuient de tout leur poids sur l'incertain.

Tu l'avais signé comme épreuve,
et ils mettent leur nom à la place du tien..

Ils disent : ces gens de Dieu nous aiment tant
qu'ils prennent notre doute !

Jésus, leur version nous fait mal :
illumine un instant ta nuée !

Étends le brouillard dans leur vide,
et alimente nos ressources.

Car ils se rient de nous, ils nous croient enlisés,
réduits à la seule prière.

Alors que nous en sommes à la prière vitale,
celle qu'ils ont perdue, enterrée...

Qu'ils fassent le silence et la retrouvent
mais reste avec nous au désert.

Toi qui fus la nuée lumineuse,
montre-toi sous ce signe à ce temps-ci.

Tu es le ciel qui a pris à la terre,
le vent qui nous a menés jusqu'ici.

Mène-nous jusqu'au temps où la nuée fait grâce
avant de tout renouveler,

Où elle fait eau, où elle fait source,
où les puits desséchés sont abreuvés.

Car c'est bientôt la nuit de Pâques,
et tout se prépare à lever.

Fais quelque chose pour nous, si c'est possible,
Seigneur, quelque chose avec nous !

Nous sommes ton corps à cet âge,
la terre même de ton Corps.

Dans le souffle de ta confiance,
nos voix peuvent mourir en paix.

Mais au fond des sables arides,
au désert de la soif de Dieu,

Ta soif travaille dans nos gorges...
Quoi ? c'est elle qui va lever ?

Ton jour ne l'est pas encore !
est-ce bien le lieu d'un cantique ?

Quel homme ici entonnerait une hymne ?
pourtant je l'entends se former.

« Dieu, notre Dieu de l'univers,
ouvre-nous l'univers de Jésus !

Ciel nouveau et terre nouvelle,
l'univers du Ressuscité !

Car c'est lui, la Terre promise
à la terre dont tu nous as faits,

A notre terre, à ses enfers,
à ses plantes qui portent semence,

A ses bêtes qui portent leur semence
à tout ce qui tressaille en nous...

C'est lui, l'Homme où tout est compris,
l'Homme qui porte ton esprit !

Plus de mort pour nos univers !
elle est franchie et baptisée.

Ouvre-nous l'univers de Jésus,
terre et ciel renouvelés. »

Et nos os vibrent sous ton souffle,
l'inerte et le désanimé.

Ce que ma bouche ne peut dire,
la pierre en moi le murmure déjà.

La pierre le crie à la pierre,
le sécrète aux racines incrustées.

De l'herbe monte de la fosse,
des animaux du désert viennent y boire.

Et le cri de la vie monte jusqu'aux troupeaux,
jusqu'aux enfants et jusqu'aux pauvres !

Dieu, notre Dieu, permets-moi ce cantique,
l'éclair de ta nuée m'a surpris.

La trouée de ta nuée l'a fait sourdre,
la soif de toi m'a forcé.

Si c'est possible, qu'ils l'entendent,
qu'ils l'écoutent, ceux qui t'ont oublié,

De leur terre, de leur propre mort,
qu'ils le tirent, et le vérifient !

Que leurs ténèbres te reçoivent,
et le sein vierge de la vie !

Qu'ils t'appellent, toi l'Exorable,
avant de s'enfoncer au plus sourd de leur loi !

Qu'ils ne demandent plus : quel exode ?
la Pâque, bien sûr, avec toi !

Patrice de La Tour du Pin - Psaume du Carême